jeudi 28 juillet 2016

Le regard en Art Thérapie - 1ère Partie

  

  L'Empathie Kinesthésique

 Je traiterai dans cet article la notion d'empathie kinesthésique à travers le regard. Je développerai dans un futur article cette même notion mais cette fois-ci à travers la mise à distance de sa création et du décentrement de soi, qui s'oppère en art thérapie.

     L'empathie kinesthésique est un terme développé par Christine Leroy dans son écrit Corps mouvant « charnel » et phénoménologie de l’empathie kinesthésique[1]La kinesthésie fait référence à une sensation de mouvement à l’intérieur de la personne. Elle va au-delà du mouvement interne, ou des micros stimuli musculaires que le corps produits lorsqu’il assiste à un autre corps en action. Ces stimuli sont la cause et non la conséquence de ce phénomène neurologique. La kinesthésie concerne également l’affect émotionnel (é-motion, source de mouvement). C. Leroy parle d’empathie en relation avec la construction de l’enfant qui, en regardant ses parents, va se construire. Dans cet aller-retour à lui, l’enfant va apprendre de ses propres ressentis, va se différencier de l’Autre, et va ainsi construire son enveloppe psychique. 

C.Leroy développe la réflexion du mouvement, présent chez l’acteur tout comme chez le spectateur. Elle parle d’une transmission d’une émotion de corps à corps, dans un métalangage passant non pas par les mots, mais par la perception et l’imprégnation de ce que le regard voit du corps du regardé. Ce phénomène est ce que Christine Leroy appelle l’empathie kinesthésique[2]
Ainsi, par notre regard sur l’autre – encore faut-il que ce regard soit suffisamment ouvert – nous allons apprendre de nous et continuer à évoluer. C’est ce que l’on appelle également l’intersubjectivité, d’avantage utilisée par Merleau-Ponty, et qui désigne ce phénomène qui va permettre de comprendre et de connaître, à travers l’autre, sa propre manière d’exister
En théâtre, l'un des médiums que j'utilise le plus dans mes accompagnements en art thrapie, le spectateur vit ce phénomène, à travers les personnages dépeints sur scène. Le corps de l’artiste n’étant alors qu’une image réflexive du corps du spectateur. Je parle bien évidemment ici de l'image réflexive qui se fait psychiquement et inconsciemment. Dans notre vie de tout les jours, nous vivons continuellement  ces allers-retours à soi. Je vous invite à prendre le temps parfois de revenir à vous et de voir ce que votre corps, par de micro mouvements ou par des ptits spasmes musculaires, réagit à ce que vous voyez. (Devant un film d'action ça marche très bien! )

Lors de mon accompagnement de jeunes adultes en situation de poly handicap, utilisant la danse-contact, j’avais déjà observé l’effet de l’empathie kinesthésique. Pour la plus part, il leur était impossible de marcher. L’atelier permettait à ces personnes d’appréhender leur corps non pas par le handicap mais par leurs capacités propres. Réduites, certes, mais s’ouvrant sur de nouveaux champs d’expériences. Ainsi, il y avait dans l’atelier presque autant de danseurs que de personnes en situation de handicap. Dans chaque improvisation dansée, il y avait au moins un danseur et une personne handicapée. Les participants étaient comme happés par la présence et les propositions de ces "corps autres", ayant d’avantage de possibilités. J’observais des réactions inconscientes se produire physiquement chez les participants. Je dirais même, qu’elles étaient le moteur pour une nouvelle découverte d’eux-mêmes
Les participants observaient beaucoup, et suivaient les mouvements des danseurs et de l’art thérapeute. A leur manière. Ils étaient comme absorbées par ce que les intervenants proposaient. Alors qu’il y avait beaucoup de mouvements, de cris et de fuitent vers l’extérieur dans les temps informels, lorsque les participants rentraient en observation, le silence se faisait. Leur corps réagissait naturellement à ce qu’il voyait. Les personnes ne s’en rendaient pas compte.
Il y eu d’abord un cheminement intérieur, où leur production artistique extérieure n’existait quasiment pas. Il y eu une production intérieure, à partir de l’expérience du regard[3]. J’ai observé plus particulièrement chez un participant des micros mouvements physiques, alors que son regard était plongé dans la création dansée proposée par les danseurs. Ce processus sembla développer une confiance et un sentiment capacitaire chez cette personne car elle osa, après plusieurs mois d’observation et d’intersubjectivité, produire des mouvements dansés.

     Ces temps de regard en atelier peuvent être assimilés à un positionnement d’acteur-spectateur. Le cadre étant bien évidemment différent que dans une salle de spectacle, je dirais que l’empathie kinesthésique y est exacerbée, grâce entre autre au transfert que le participant fait envers l’art thérapeute. En parlant de l’expérience d’empathie kinesthésique durant un spectacle de danse ou de théâtre, Christine Leroy emploie ces termes : « Le spectateur dont l’attention est, tout entière, tendue vers la scène, s’éprouve comme «  chair » vécue et mue au travers de l’interprète qui se fait support de la tension – et de l’attention - du spectateur. (…) Le spectateur vise intentionnellement l’interprète, et c’est dans cette visée que sa chair propre de spectateur se performe, s’actualise en une « forme » aux contours flous. » [4]
Par contours flous, j’entends ici, la remise en question de nos propres capacités et peut être même de nos défenses. Je comprends également que notre regard sur notre propre corps peut être amené à se modifier. Ainsi, une personne en situation de handicap, s’étant toujours vue étiquetée comme tel, va effectuer, inconsciemment, un décentrement par rapport à cette perception intime. Ainsi, j’ai pu observer durant ce stage une nette évolution des mouvements et de la confiance en soi des personnes accompagnées. 
Les premières productions des jeunes en situation de handicap étaient des tentatives de copies des mouvements des danseurs et de l’art thérapeute. La copie est, pour moi, un passage nécessaire pour aller vers une découverte de leurs capacités motrices et artistique. C’est un appui. Il n’y a peut-être pas alors de création artistique à proprement parlé. Cependant il y a une recherche, il y a une tentative et il y a une découverte. Après plusieurs mois d'intervention, j’observe qu’après avoir expérimenté la copie du mouvement d’autrui, le regard des participants changeait. Ce dernier se tournait alors d’avantage vers eux même. Et, après avoir était dans l’empathie kinesthésique des corps des autres danseurs, ces jeunes commençaient à entrer dans l’éprouvé intime de le corps.


     En art thérapie, le regard ne doit pas être seulement considéré comme un sens, mais bel et bien comme un support d’accompagnement en médiation artistique. Je continuerai ma réflexion en m’appuyant sur une nouvelle citation de Christine Leroy toujours, tiré maintenant de son livre Empathie Kinesthésique, danse-contact-improvisation et danse-théâtre  :  "L’épreuve empathique ne se restreint donc pas au domaine esthétique : toute communication affective inter-humaine est susceptible de générer de l’empathie ; c’est précisément parce qu’il est prédisposé à l’empathie que l’humain peut communiquer, par identification charnelle à la chair d’autrui, auquel il n’a cependant, paradoxalement, jamais véritablement accès. De sorte que, si l’on suit Édith Stein [5],(...) l’émotion de l’autre ne renvoie en dernière instance qu’à moi-même". 

To be continued... 
Mathilde Pérignon





[1] Corps Mouvants « charnel » et Phénoménologie de l’empathie kinesthésique, Christine Leroy revue Synergie Pays Riverains de la Baltiques n°8, 2011, pages 45 à 52
[2] Empathie, du grec ancien em signifiant « à l’intérieur » et pathos signifiant « ce qui est éprouvé » et kinesthésie du grec kinesis signifiant « mouvement » et aisthesis : « sensibilité »)
[3] Notion du Non-faire, l'accompagnement en art thérapie ne passe parfois pas immédiatement par la création. certaines personnes ont besoin d'un temps d'observation afin qu'intérieurement, les premiers changements s'oppère. Je développerai dans un futur article cette notion.
[4] Empathie Kinesthésique, danse-contact-improvisation et danse-théâtre, de Christine Leroy, texte publiée sur le site www.cairn.info, extrait du livre STAPS, éditions De Boeck Supérieur, 2013.
[5] Edith Stein, également Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, enseignante et philosophe, ayant développé la réflexion sur l’empathie.

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