L'Empathie Kinesthésique
Je traiterai dans cet article la notion d'empathie kinesthésique à travers le regard. Je développerai dans un futur article cette même notion mais cette fois-ci à travers la mise à distance de sa création et du décentrement de soi, qui s'oppère en art thérapie.
L'empathie kinesthésique est un terme développé par Christine Leroy dans son écrit Corps mouvant « charnel » et phénoménologie de l’empathie kinesthésique[1]. La kinesthésie fait référence à une sensation de mouvement à l’intérieur de la personne. Elle va au-delà du mouvement interne, ou des micros stimuli musculaires que le corps produits lorsqu’il assiste à un autre corps en action. Ces stimuli sont la cause et non la conséquence de ce phénomène neurologique. La kinesthésie concerne également l’affect émotionnel (é-motion, source de mouvement). C. Leroy parle d’empathie en relation avec la construction de l’enfant qui, en regardant ses parents, va se construire. Dans cet aller-retour à lui, l’enfant va apprendre de ses propres ressentis, va se différencier de l’Autre, et va ainsi construire son enveloppe psychique.
C.Leroy développe la réflexion du mouvement, présent chez l’acteur tout comme chez le spectateur. Elle parle d’une transmission d’une émotion de corps à corps, dans un métalangage passant non pas par les mots, mais par la perception et l’imprégnation de ce que le regard voit du corps du regardé. Ce phénomène est ce que Christine Leroy appelle l’empathie kinesthésique[2].
C.Leroy développe la réflexion du mouvement, présent chez l’acteur tout comme chez le spectateur. Elle parle d’une transmission d’une émotion de corps à corps, dans un métalangage passant non pas par les mots, mais par la perception et l’imprégnation de ce que le regard voit du corps du regardé. Ce phénomène est ce que Christine Leroy appelle l’empathie kinesthésique[2].
Ainsi, par notre regard sur l’autre – encore faut-il que ce regard
soit suffisamment ouvert – nous allons apprendre de nous et continuer à évoluer. C’est ce que l’on appelle également l’intersubjectivité, d’avantage utilisée par
Merleau-Ponty, et qui désigne ce phénomène qui va permettre de comprendre et de
connaître, à travers l’autre, sa propre manière d’exister.
En théâtre, l'un des médiums que j'utilise le plus dans mes accompagnements en art thrapie, le spectateur vit ce
phénomène, à travers les personnages dépeints sur scène. Le corps de l’artiste
n’étant alors qu’une image réflexive du corps du spectateur. Je parle bien évidemment ici de l'image réflexive qui se fait psychiquement et inconsciemment. Dans notre vie de tout les jours, nous vivons continuellement ces allers-retours à soi. Je vous invite à prendre le temps parfois de revenir à vous et de voir ce que votre corps, par de micro mouvements ou par des ptits spasmes musculaires, réagit à ce que vous voyez. (Devant un film d'action ça marche très bien! )
Lors
de mon accompagnement de jeunes adultes en situation de poly handicap, utilisant la danse-contact, j’avais déjà
observé l’effet de l’empathie kinesthésique. Pour la plus part,
il leur était impossible de marcher. L’atelier permettait à ces personnes d’appréhender leur
corps non pas par le handicap mais par leurs capacités propres. Réduites,
certes, mais s’ouvrant sur de nouveaux champs d’expériences. Ainsi, il y avait
dans l’atelier presque autant de danseurs que de personnes en situation de
handicap. Dans chaque improvisation dansée, il y avait au moins un danseur et
une personne handicapée. Les participants étaient comme happés par la présence
et les propositions de ces "corps autres", ayant d’avantage de
possibilités. J’observais des réactions inconscientes se produire physiquement
chez les participants. Je dirais même, qu’elles étaient le moteur pour une
nouvelle découverte d’eux-mêmes.
Les participants observaient beaucoup, et suivaient les mouvements
des danseurs et de l’art thérapeute. A leur manière. Ils étaient comme
absorbées par ce que les intervenants proposaient. Alors qu’il y avait beaucoup
de mouvements, de cris et de fuitent vers l’extérieur dans les temps informels,
lorsque les participants rentraient en observation, le silence se faisait. Leur
corps réagissait naturellement à ce qu’il voyait. Les personnes ne s’en rendaient pas
compte.
Il y eu
d’abord un cheminement intérieur, où leur production artistique extérieure
n’existait quasiment pas. Il y eu une production intérieure, à partir de
l’expérience du regard[3].
J’ai observé plus particulièrement chez un participant des micros mouvements
physiques, alors que son regard était plongé dans la création dansée
proposée par les danseurs. Ce processus sembla développer une confiance et un
sentiment capacitaire chez cette personne car elle osa, après plusieurs
mois d’observation et d’intersubjectivité, produire des mouvements dansés.
Ces temps de regard en atelier
peuvent être assimilés à un positionnement d’acteur-spectateur. Le cadre étant
bien évidemment différent que dans une salle de spectacle, je dirais que
l’empathie kinesthésique y est exacerbée, grâce entre autre au transfert que le
participant fait envers l’art thérapeute. En parlant de l’expérience
d’empathie kinesthésique durant un spectacle de danse ou de théâtre, Christine
Leroy emploie ces termes : « Le spectateur dont l’attention est, tout entière, tendue vers la scène,
s’éprouve comme « chair » vécue et mue au travers de
l’interprète qui se fait support de la tension – et de l’attention - du
spectateur. (…) Le spectateur vise intentionnellement l’interprète, et c’est
dans cette visée que sa chair propre de spectateur se performe, s’actualise en
une « forme » aux contours flous. » [4]
Par contours flous, j’entends
ici, la remise en question de nos propres capacités et peut être même de nos défenses.
Je comprends également que notre regard sur notre propre corps peut être
amené à se modifier. Ainsi, une personne en situation de handicap, s’étant
toujours vue étiquetée comme tel, va effectuer, inconsciemment, un décentrement
par rapport à cette perception intime. Ainsi, j’ai pu observer durant ce stage
une nette évolution des mouvements et de la confiance en soi des personnes
accompagnées.
Les premières productions
des jeunes en situation de handicap étaient des tentatives de copies des mouvements des
danseurs et de l’art thérapeute. La copie est, pour moi, un passage nécessaire
pour aller vers une découverte de leurs capacités motrices et artistique. C’est
un appui. Il n’y a peut-être pas alors de création artistique à proprement
parlé. Cependant il y a une recherche, il y a une tentative et il y a une découverte. Après
plusieurs mois d'intervention, j’observe qu’après avoir expérimenté la copie du mouvement d’autrui, le regard des participants changeait. Ce dernier se tournait alors d’avantage vers eux même. Et, après avoir était dans l’empathie
kinesthésique des corps des autres danseurs, ces jeunes commençaient à entrer
dans l’éprouvé intime de le corps.
En art thérapie, le regard ne doit pas être seulement considéré comme un sens, mais bel et bien comme un support d’accompagnement en médiation artistique. Je continuerai ma réflexion en m’appuyant sur une nouvelle citation de Christine Leroy toujours, tiré maintenant de son livre Empathie Kinesthésique, danse-contact-improvisation et danse-théâtre : "L’épreuve empathique ne se restreint donc pas au domaine esthétique : toute communication affective inter-humaine est susceptible de générer de l’empathie ; c’est précisément parce qu’il est prédisposé à l’empathie que l’humain peut communiquer, par identification charnelle à la chair d’autrui, auquel il n’a cependant, paradoxalement, jamais véritablement accès. De sorte que, si l’on suit Édith Stein [5],(...) l’émotion de l’autre ne renvoie en dernière instance qu’à moi-même".
To be continued...
Mathilde Pérignon
[1]
Corps Mouvants « charnel » et
Phénoménologie de l’empathie kinesthésique, Christine Leroy revue Synergie Pays Riverains de la
Baltiques n°8, 2011, pages 45 à 52
[2]
Empathie, du grec ancien em
signifiant « à l’intérieur » et pathos
signifiant « ce qui est éprouvé » et kinesthésie du grec kinesis signifiant « mouvement » et aisthesis : « sensibilité »)
[3]
Notion du Non-faire, l'accompagnement en art thérapie ne passe parfois pas immédiatement par la création. certaines personnes ont besoin d'un temps d'observation afin qu'intérieurement, les premiers changements s'oppère. Je développerai dans un futur article cette notion.
[4]
Empathie Kinesthésique,
danse-contact-improvisation et danse-théâtre, de Christine Leroy, texte
publiée sur le site www.cairn.info, extrait
du livre STAPS, éditions De Boeck Supérieur, 2013.
[5]
Edith Stein, également Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, enseignante et
philosophe, ayant développé la réflexion sur l’empathie.
Très profond. Merci.
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