C’est une
méthode utilisée afin de détourner les défenses, si chères à la personne
accompagnée. En effet, tout être humain se construit bon an, mal an, avec les aléas
de sa vie. Afin qu’il évolue, grandisse et s’épanouisse, son psychisme met en
place des mécanismes d’auto-défense lorsque les évènements extérieurs sont trop
durs à gérer. Par exemple, le décès d’un parent, l’humiliation, la violence au
sein de la famille, etc. Ces défenses font partie de la personne tout autant
que son caractère ou ses opinions. J’irai même jusqu’à dire qu’elles orientent son caractère et ses
opinions !
On ne peut consciemment
vouloir aider une personne, ou l’accompagner, sans prendre conscience de ses
mécanismes de défenses. Ceci s’applique également pour la vie de tous les
jours, extérieurs au cadre thérapeutique. Vous ne proposerez pas à un ami
agoraphobe d’aller à un festival de musique brassant 200 000 personnes. La
connaissance de la cause de cette défense – ici l’agoraphobie vous l’aurez
compris - n’est pas essentielle, du moins en art thérapie. Nous traitons les symptômes,
c’est-à-dire ce qui résulte d’une blessure ancienne et qui crée une enclave
dans la vie actuelle de la personne. Bien évidemment, la blessure sera elle
aussi abordée, comme dans toute thérapie. Des allers-retours entre présent et passé
sont nécessaires. Seulement, ce ne sera en aucun cas l’action première de l’art
thérapeute. Vous ne verrez pas d’art thérapeute vous dire d’entrée de
jeu : « Parlez-moi de vos parents. » Et ceci, pour plusieurs
raisons.
La première : Car ce
n’est pas le chemin que prend la thérapie par les arts comme expliqué dans mes
précédents articles. Nous sommes dans l’instant présent et nous bâtissons avec
l’état actuel de la personne (comme ça, je suis sure que c’est compris).
La deuxième : Car
nous travaillons sur la symbolique (voir l’article Métaphores et symbolisationen art thérapie). Or, si nous nommons un évènement comme étant l’élément clé du
mal être de la personne ou comme étant le frein de son épanouissement, alors
nous anéantissons les symboles, créés avant la thérapie. Les symboles sont une défense
et concourent ainsi au processus de guérison.
La troisième : Car
nous serions dans une approche frontale. Hors les personnes qui consultent un
art thérapeute, ont choisi cet accompagnement car elles savent qu’il passe par
un biais. Au lieu d’exprimer verbalement et de manière directe leur mal être,
elles vont pouvoir l’exprimer par la création artistique. Nous travaillons sur
la triangulation, le rapport à un tiers, entre le thérapeute, le patient et son
œuvre. A cela ajouter l’empathie qui fait un va et vient entre la personne et
son créateur. Ces deux éléments sont la clé de voute de l’art thérapie… et
c’est à ce moment là qu’intervient la Stratégie
du Détour.
Nous
emmenons la personne sur une voie qu’elle ne pensait pas explorer. Par exemple,
il est conseillé de ne pas proposer à un professeur de dessin une médiation
basée sur les arts plastiques… Ainsi, la personne se trouve en terre inconnue
et ne pourra alors pas analyser consciemment ce qu’elle est en train de
produire. Je m’explique. Nous sommes issus de la « génération Freud »
où la psychologie et la psychanalyse ont été développées mais également mises à
toutes les sauces. « Si je peins avec du rouge c’est parce que j’ai des
pulsions de mort » (entendu chez une patiente). C’est un peu (beaucoup)
plus compliqué que cela.
Le rôle de l’art thérapeute est
d’amener la personne sur un terrain qu’elle ne connait pas. Tout en la
rassurant pour qu’elle ne se sente pas sur une pente glissante. Et sans lui
imposer sa présence pour qu’elle puisse s’émerveiller et se surprendre de ce
qui sort d’elle-même… rien que ça ! Elle sera alors absorbée par sa
création et non plus dans une quête consciente de logique entre sa
production, son passé et son état actuel. Je dis bien consciente car encore une
fois les liens vont se faire, des mots (et maux) vont sortir mais cela se fera
sans le contrôle de l’esprit. Ils passeront par le vécu, l’expérience de la
matière, du geste, du temps suspendu. L’art thérapeute est bien conscient, lui,
de l’emplacement des défenses. C’est avec cette connaissance qu’il va savoir où
il ne faut pas aller, par où passer et où il serait temps de tenter une
excursion modérée.
Pour
conclure sur la stratégie du détour en art thérapie, j’utiliserai une vignette
afin d’illustrer tout ce que je viens de vous dire.
Je m’occupais récemment d’un
enfant ayant des gros problèmes d’intégration. Agé de 8ans, il se montrait très
taquin et chamailleur avec les autres enfants, ni plus ni moins que la grande
majorité des garçons de son âge. Seulement, dès qu’une personne lui rendait ses
chamailleries, il partait dans une colère
d’une extrême violence où il en venait rapidement aux coups sur enfants,
comme adultes. En l’observant durant des jeux avec les autres enfants, dans les
moments de la vie quotidienne et durant des temps de créations, je me rendis
compte qu’il avait une très mauvaise estime de lui-même, à un niveau que je
qualifierai presque de pathologique. A travers le dessin, j’observe comment il
traite le héros de l’histoire qu’il s’est dessiné. Le voyant englouti par les
eaux, je lui propose de retourner son dessin et de continuer dans ce sens –le
héro se trouvant alors au-dessus de la ligne de flottaison. Il a du mal à
reprendre son histoire et part sur la création d’une carte au trésor. C’est un
moment où il est très calme et pour la première fois, je sens qu’il se détend
et qu’il lâche un peu de lest. Nous sommes interrompus par un autre enfant
venant se moquer de lui et il retourne dans son « donjon » : la
violence pour cacher sa faiblesse. Il me dira de lui-même, une fois calmé,
qu’il n’a aucune qualité, qu’il ne sait rien faire, qu’il est « trop
nul ».
Je tente une autre approche.
Durant un temps calme, avec d’autres enfants, je narre un conte africain sur un
arbre à deux branches. L’une portant des fruits juteux, délicieux, et l’autre portant
des fruits mortels. Les hommes du village trouvent qu’elle branche porte les
bons fruits et les mangent tous. Etant déséquilibré, l’arbre meurt le jour
suivant. Ce conte induit que tout être vivant à besoin de qualités et de
défauts. Que si défauts il y a, qualités il y aura naturellement ! Les
autres enfants ne m’ont pas du tout reparlé de ce conte, mais le garçon est
venu à plusieurs reprises me poser des questions sur cet arbre.
L’arbre lui parlait bien
évidemment car il le représentait. Lui n’en avait pas conscience, seulement il
voulait savoir comment il aurait fallu faire pour que l’arbre ne meurt pas,
comment c’était possible qu’il ait à la fois des bons fruits et des mauvais
fruits. Et alors que nous parlions de jardinage, son inconscient absorbait tout
ce symbolique qui était en train de se jouer.
La stratégie du détour, c’est
cela !
Mathilde Pérignon